21/04/23 – Journée d’étude « Du caring for country au care dans les institutions culturelles » à l’ENS-PSL

« Du caring for country au care dans les institutions culturelles » 

Journée d’étude internationale dans le cadre du séminaire « Autochtonie, hybridité, anthropophagie »

(École normale supérieure, département ARTS)

 

Vendredi 21 avril 2023

Salle Dussane, ENS

 

Organisation et responsabilité scientifique : Daria de Beauvais (Curatrice Senior, Palais de Tokyo) et Morgan Labar (enseignant associé ENS, département ARTS / École supérieure d’art d’Avignon)

Argumentaire : 

Le séminaire « Autochtonie, hybridité, anthropophagie » :

La montée en visibilité des pratiques autochtones dans l’art contemporain international est un phénomène majeur de l’histoire de l’art en train de s’écrire, avec le risque, parfois, de devenir une simple étiquette. Les termes hybridité et anthropophagie (en référence au « Manifeste Anthropophage » d’Oswald de Andrade) ont ainsi été accolés à autochtonie afin d’éviter les assignations identitaires et d’interroger l’invention de pratiques et d’identités variables, déjouant les catégories héritées du colonialisme et permettant de repenser les rapports à la nature, au territoire, aux humains et aux autres qu’humains. En laissant la parole à des chercheurs et des artistes, ce séminaire entend déplacer la focale des questions institutionnelles vers celles des processus créatifs, des identités assignées vers les pratiques par lesquelles l’individu s’auto-désigne et invente ses relations au monde.

La journée d’étude « Du caring for country au care dans les institutions culturelles »

En prolongement du séminaire « Autochtonie, hybridité, anthropophagie » hébergé par le département ARTS de l’ENS depuis 2020 et des journées d’étude « Arts contemporains et indigénéités » organisées en mars 2021, la journée d’étude « Du caring for country au care dans les institutions culturelles » se propose d’étudier la manière dont « prendre soin » est une activité polysémique. Celle-ci inclut des processus culturels et spirituels inhérents au lien avec la Terre, la potentielle cicatrisation de traumatismes liés au colonialisme, jusqu’à la présentation des arts visuels comme vecteurs d’émancipation.

L’expression caring for country, littéralement « prendre soin du pays », ou remplir ses responsabilités concernant un territoire, désigne l’importance que les peuples Aborigènes australiens accordent à la gestion coutumière des terres et des eaux. Mais le terme country ne concerne pas seulement un lieu ; il inclut tous les êtres vivants et non vivants y coexistant. En cela il s’apparente à la notion de territoire, enjeu central des luttes autochtones internationales, lieu premier de la dépossession coloniale.

Ces enjeux apportent une autre lumière à la question du soin (care) porté aux œuvres, aux objets et aux archives conservés par les institutions culturelles occidentales, dans un contexte de post-colonialité. Cette journée d’étude examinera ainsi le paysage sensible et conceptuel dans lequel ces œuvres ont été conçues aussi bien que leur capacité d’agir et de faire relation. Articulant les notions de sollicitude et d’éthique à celles de pratique artistique et de conservation muséale, il se posera en creux la question suivante : l’art peut-il être facteur de réparation ?

Les interventions de 30 minutes seront suivies de 10 minutes d’échanges avec la salle.

Programme de la journée

9 h                  Accueil des intervenant·es

9 h 30             Introduction (Daria de Beauvais et Morgan Labar)

Présidence de séance de la matinée : Daria de Beauvais

9 h 50            Megan Cope, artiste (Brisbane, Australie)

Kinyingarra Guwinyanba (en anglais, à distance)

10 h 30          Mylène Ferrand, historienne de l’art (Paris, France)

Vers une cosmogonie du care ?

11 h 10          Pause

11 h 30          Julie Gough, artiste et conservatrice (Nipaluna/Hobart, Tasmanie)

Histoire fugace : raison d’être et héritage (en anglais)

12 h 10          Lotte Arndt, chercheuse et curatrice (Paris, France/Berlin, Allemagne)

La biennale de Lubumbashi comme plateforme de résistance à la condition extractiviste

13 h – 14 h 30          pause déjeuner

Présidence de séance de l’après-midi : Morgan Labar

14 h 30          Introduction

14 h 40          Skawennati, artiste (Tiohtià:ke / Montréal, Canada)

Ma vie d’avatar (en anglais et à distance)

15 h 20          Alexis Anne-Braun, philosophe (Paris, France)

Soigner les gens et soigner son art

16 h                Pause

16 h 20          Fanny Wonu Veys, conservatrice (Pays-Bas)

La culture matérielle du Pacifique aux Pays-Bas : représentation, relations et respect

17 h                Synthèse

17 h 30          Fin

La journée pourra être suivie à distance ici.

PRÉSENTATION DES INTERVENANT·ES :

Alexis Anne-Braun, philosophe (Paris, France) : Soigner les gens et soigner son art

Dans De la liberté. Quatre chants sur le soin et la contrainte, Maggie Nelson s’interroge sur la porosité et la résistance du monde de l’art à une demande de soin formulée depuis la société. Est-ce aux artistes de se substituer aux institutions dans la prise en charge de la souffrance et de la vulnérabilité des gens ? Comment prendre soin des autres sans verser dans une esthétique orthopédique qui risquerait de prendre la voie d’une moralisation de l’art ?

Suivant le fil argumentatif proposé par Maggie Nelson, nous réfléchirons à ces questions à partir d’une étude de cas : l’installation contestée de l’œuvre de Sam Durant, Scaffold, au Walker Art Center. Que nous apprend un conflit qui voit s’opposer deux types de souveraineté, l’autonomie de l’art et la souveraineté politique ? Réfléchir à ce conflit nous invitera peut-être à résister à l’idée que la liberté et le soin sont des concepts contradictoires. Comme on le verra, soigner son art implique des pratiques aussi distinctes que (1) avoir du temps, (2) être libre (3) pouvoir défendre et justifier son travail (4) avoir suffisamment réfléchi à ses destinataires présents et futurs (5) trouver des solutions, lorsque des conflits surgissent.

Alexis Anne-Braun est maître de conférences à l’École Normale Supérieure où il enseigne l’esthétique et la philosophie de l’art. Il est le co-commissaire de l’exposition Prendre Soin –. Restaurer, réparer, de la Renaissance à nos jours qui s’est déroulée d’octobre 2022 à mars 2023 au Musée des Beaux-Arts de Dole. Il a consacré son travail de doctorat à la philosophie de l’art de Nelson Goodman. Ses recherches portent depuis lors sur le concept d’activation artistique.

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Lotte Arndt, chercheuse et curatrice (Paris, France/Berlin, Allemagne) :

La biennale de Lubumbashi comme plateforme de résistance à la condition extractiviste

Fondée pendant la colonisation belge afin de permettre l’exploitation industrielle des gisements légendaires de cuivre qui font du Katanga un « scandale géologique », la ville de Lubumbashi dans l’est de la République Démocratique du Congo porte à tous les niveaux l’empreinte des conjonctures de l’extraction minière. Le centre d’art Picha y organise depuis 2012 une biennale, et crée des réseaux de collaborations artistiques et mutualisations de ressources à la recherche d’une voie entre extraversion et repli, permettant solidarités et attention – en faisant monde(s) dans un contexte lourdement affecté par la toxicité extractiviste. Comment en développant une pratique soigneuse d’accompagnement des artistes, Picha s’emploie-t-il aussi à prendre soin de la ville, culturellement et socialement ?

Lotte Arndt est chercheuse et curatrice. Dans le cadre du projet de recherche international Reconnecting « Objects ». Epistemic Plurality and Transformative Practices in and beyond Museums à l’Université technique de Berlin, elle mène une recherche sur les collections toxiques, l’extractivisme, et les antinomies de la conservation dans les musées dits ethnographiques et d’histoire naturelle.

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Daria de Beauvais est Curatrice Senior au Palais de Tokyo. En 2022, son projet « Réclamer la terre » réunit des artistes extra-occidentaux, notamment autochtones, développant de nouvelles connexions avec l’environnement. En 2019, elle est co-commissaire de la 15e Biennale de Lyon, « Là où les eaux se mêlent », conçue comme un écosystème à la jonction de paysages biologiques, économiques et cosmogoniques. Elle enseigne la pratique de l’exposition à l’université Panthéon-Sorbonne et conçoit avec Morgan Labar le séminaire « Autochtonie, hybridité, anthropophagie » à l’ENS.

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Megan Cope, artiste (Brisbane, Australie) : Kinyingarra Guwinyanba

Kinyingarra Guwinyanba (qui signifie « le lieu des huitres » en langues Jandai et Gowar) est une formation sculpturale réalisée à la main, un retour au territoire permettant la création de sculptures vivantes pour l’avenir. Ce projet fait suite à six années de recherche sur l’impact de l’industrie coloniale de la chaux ainsi que de la dévastation des tourbières et récifs d’huîtres autochtones dans la région maritime du territoire Quandamooka. Reposant sur la zone intertidale près de Myora, ce projet s’appuie sur l’héritage de nos ancêtres, interrompu par la colonisation, héritage que nous cherchons maintenant à perpétuer. Kinyingarra Guwinyanba est une œuvre d’art terrestre et maritime générative et vivante qui démontre comment l’art peut physiquement guérir un territoire colonisé, par la pratique de processus écologiquement restaurateurs et ancestraux. En plantant ces jardins marins, une nouvelle génération émerge de la boue, des rochers et des coquillages Kinyingarra.

Megan Cope est une artiste Quandamooka dont les installations sculpturales, les peintures et les interventions dans l’espace public résistent souvent aux notions déterminées de l’Aboriginalité. Ses œuvres proposent de contrer le grand récit de l’« Australie » et critiquent les États coloniaux. Elle est membre du collectif d’art autochtone proppaNOW et est représentée par la galerie Milani à Meanjin/Brisbane.

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Mylène Ferrand, Historienne de l’art (Paris, France) : Vers une cosmogonie du care ?

L’enjeu philosophique du XXIe siècle est celui du care, de rapports à l’autre terrestre à retisser, remythologiser. Comment les artistes, l’art et les institutions culturelles peuvent-ils non seulement prendre soin des œuvres, mais aussi des vivant·es et de leurs milieux de vie ? De quelles façons se réinventer et développer la sollicitude response-able envers les exclu·es du temple muséal ou du white cube, qui ont pu être utilisé·es voire pillé·es en vue de l’exhibition ou de la constitution de collections ? Nous discuterons de quelques actions artistiques en prise directe avec la réalité et ses urgences délétères, mettant en péril la (sur)vie de toutes et tous et, in fine, de l’art. Ce qui transparaît en filigrane est que l’éthique du care ou du soin n’est pas tout à fait une nouveauté, mais un précepte vital au cœur même des anciennes cosmogonies.

Mylène Ferrand est une travailleuse de l’art (dernièrement directrice de Galleria Continua, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana / Roma / Sao  Paulo / Paris / Dubai).  Elle mène désormais des recherches autour des écologies de l’art. Docteure en arts, elle a écrit une thèse intitulée « Le tournant animal dans l’art contemporain (de 1960 à nos jours), approche écoféministe », soutenue en décembre 2022 et dans laquelle elle développe ce qu’elle nomme une « esthétique » ou un « art du care ».

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Julie Gough, artiste et conservatrice (Nipaluna/Hobart, Tasmanie) : Fugacité de l’Histoire : raison d’être et héritage

Mon principal intérêt pour la France a toujours été d’essayer de comprendre les trajets et destinations des objets culturels de mes ancêtres (autochtones de Tasmanie) qui ont été recueillis depuis 1792 par des voyageurs français, mais aussi envoyés de Tasmanie, par exemple à l’Exposition universelle de Paris en 1855. Récemment, un porte-eau ancestral de varech « disparu » a été découvert au Musée du Quai Branly, qui est maintenant prêté au gouvernement de Tasmanie depuis deux ans. Je présenterai sur ces héritages et les relations difficiles avec les institutions à travers mon art et la recherche actuelle basée à Paris.

Julie Gough est artiste, écrivaine et conservatrice à mi-temps (First Peoples Art & Culture) au Tasmanian Museum and Art Gallery. Sa pratique artistique et ses recherches s’intéressent souvent aux histoires cachées et contradictoires. Sa famille Trawlwoolway (Briggs-Johnson-Gower) vit, depuis les années 1840, dans la région de Latrobe en Lutruwita/Tasmanie, plus précisément Tebrikunna leur territoire traditionnel. Julie Gough est diplômée en art, archéologie et littérature anglaise de l’Université de Tasmanie, du Goldsmiths College, de l’Université de Londres, de l’Université Curtin et de l’Université de l’Australie occidentale.

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Morgan Labar est critique et historien de l’art, membre associé de l’EA 7410 SACRe et de l’UMR 7172 THALIM. Depuis sa thèse de doctorat, ses recherches portent sur la manière dont les catégories esthétiques, les canons et les discours hégémoniques sont construits au sein des mondes de l’art contemporain. Il est actuellement directeur de l’École supérieure d’art d’Avignon et enseignant à l’École du Louvre et à l’École normale supérieure, où il anime avec Daria de Beauvais le séminaire « Autochtonie, hybridité, anthropophagie ».

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Skawennati, artiste (Tiohtià:ke / Montréal, Canada) : Ma vie d’avatar

Skawennati discutera de l’intersection entre sa pratique et le futurisme autochtone, en particulier dans les projets intégrant son avatar, xox, et partagera des extraits de plusieurs de ses projets de film machinima (à compléter).

Skawennati étudie l’histoire, l’avenir et le changement de son point de vue de femme kanien’kehá:ka urbaine et d’avatar cyberpunk. Ses machinimas, images fixes, textiles et sculptures ont été présentés internationalement et font partie des collections du Musée des beaux-arts du Canada, du Musée d’art contemporain de Montréal et de la Fondation Thoma, entre autres. Avec Jason Edward Lewis, elle a fondé l’Initiative for Indigenous Futures (IIF) et AbTeC (Aboriginal Territories in Cyberspace), un réseau de recherche et de création où des environnements visuels autochtones sont créés.

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Fanny Wonu Veys, Conservatrice (Pays-Bas) : La culture matérielle du Pacifique aux Pays-Bas : représentation, relations et respect

Dans cette intervention, je discuterai des possibilités qu’offre la culture matérielle océanienne dans un contexte européen mais aussi spécifiquement néerlandais à travers des cas d’étude provenant de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle Guinée, de l’île de Pâques et du travail d’artistes autochtones contemporains. Dans un premier temps, les questions connexes de représentation, de collaboration et de cocréation seront abordées. Ce faisant, l’idée d’autorité et de souveraineté – qui parle pour qui ? – sera mise en avant, ainsi que le rôle des objets en tant qu’ambassadeurs et les questions de restitution. Dans un deuxième temps, je considérerai les musées comme des lieux qui relient les discours académiques et publics ainsi que les savoirs autochtones et occidentaux. Les musées en tant que créateurs de relations seront explorés. Enfin, j’aborderai les notions de respect et de soins par rapport à la mission décolonisatrice du musée ethnographique.

Fanny Wonu Veys est conservatrice, responsable des collections d’Océanie au Musée national des cultures du monde (NMVW) aux Pays-Bas. Elle y a été commissaire de plusieurs expositions dont Australian Art (2019-2023), What a Genderful World (2019-2020 ; 2021-2022), A Sea of Islands (2020-2021) et Treasures from the depot : Easter Island (2022). Elle a fait du terrain en Nouvelle-Zélande, aux Tonga et en Terre d’Arnhem, Australie. Elle est la présidente de la Pacific Arts Association Europe. Sa thèse de doctorat s’intitule Barkcloth in Tonga and its neighbouring areas : 1773-1900. Presenting the past in the present et a été effectuée à la University of East Anglia, Royaume-Uni en 2005.

2023-04-11T11:25:22+00:00avril 11th, 2023|Categories: Actualités|