Kenza Jernite, docteure SACRe-ENS, a soutenu sa thèse en études théâtrales le 21 janvier 2022, sous la direction de Christophe Triau et Nadeije Laneyrie-Dagen, intitulée : La peinture sur la scène contemporaine : tableaux, matières et images chez Jan Fabre, Romeo Castellucci et Vincent Macaigne.
L’équipe du laboratoire SACRe a le plaisir de vous annoncer que Kenza Jernite est élue Maitresse de conférences en études théâtrales à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle à partir de la rentrée 2023.
Résumé de la thèse :
Les rapports entre le théâtre et la peinture ont été profondément bouleversés au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler. Au modèle diderotien du tableau qui avait jusqu’ici prévalu, encore déterminant pour les dramaturges et metteurs en scène du XXe siècle dont le théâtre était traversé par des préoccupations plastiques, se substitue peu à peu ce que nous appelons un modèle pictural. Chez ces artistes qui travaillent à la rencontre du théâtre et des arts plastique, la scène cesse d’être principalement envisagée comme un espace cadré à organiser en vue d’une intelligibilité, et reprend désormais à la peinture tous les éléments de base de sa grammaire : couleurs, lumières, dessin, mais aussi bientôt, et les metteurs en scène suivent en cela les évolutions qui ont lieu dans le champ des arts plastiques, fluides et taches. Pour éprouver ce changement de paradigme, nous avons retenu le travail de trois metteurs en scène qui se situent chacun à un endroit charnière de cette rencontre en théâtre et arts plastiques. Le nouveau modèle d’écriture scénique, à l’intersection de la peinture et du théâtre, est un modèle qui fait le plus souvent co-exister tableau cadré et coulures de peinture. D’une part, le plateau de théâtre donne des possibilités uniques de manipulation du tableau – qui peut y être reproduit, projeté, mais aussi radiographié et même détruit – et, de Jan Fabre à Vincent Macaigne, l’image peinte, en même temps qu’elle devient chose commune sur les plateaux de théâtre au tournant des années 2000, ne cesse d’y être mise à mal. Cependant, si geste iconoclaste il y a, il s’agit, chez nos trois metteurs en scène, d’un iconoclasme inversé, alors qu’ils tentent, par ces gestes de destruction, de redonner à l’image peinte toute son efficace. D’autre part, la peinture se libère du cadre dans lequel elle était enfermée, et se met à jaillir sur les plateaux. Chez nos metteurs en scène, ce jaillissement de peinture est l’expression concrète d’un imaginaire de la catastrophe : Fabre, Castellucci et Macaigne mettent en scène des Apocalypses et des Déluges où les coulures sont libératrices. Elles sont le plus souvent l’expression d’une résistance à l’ordre, et permettent en même temps de faire table rase d’un monde qui selon nos metteurs en scène n’a plus rien à nous dire. Que se passe-t-il alors une fois que le Déluge a emporté une fois pour toutes les images mortes ? Pour décrire ce nouveau modèle d’écriture scénique qui continue de faire co-exister tableau et peinture, nous empruntons à Francis Bacon sa notion de diagramme : le diagramme est pensé comme un tamis conceptuel qui permet de faire advenir l’œuvre à l’existence, en passant le liquide non informé de l’avant de la création dans un moule ordonnateur dont les caractéristiques sont spécifiques à chaque artiste. Ces diagrammes picturo-théâtraux permettent l’émergence de nouveaux espaces-temps spécifiques à chacun de nos metteurs en scène, aux caractéristiques physiques inouïes (espace-temps déstructuré chez Jan Fabre, modulable chez Romeo Castellucci, fluide chez Vincent Macaigne), qui offrent une synthèse particulièrement heureuse du théâtre et des arts plastiques, dans cette mise en jeu dans le temps d’éléments plastiques empruntés à la peinture.