L’activité scientifique de l’EA se structure en trois axes de recherche complémentaires : invention des formes, publicisation, transmission et mémoire.
L’invention des formes
Cet axe consiste en une exploration des conditions effectives de l’acte artistique, dans ses modalités et dans ses temporalités. L’éclatement des représentations de l’activité créatrice offre en effet un véritable défi méthodologique. « La » recherche est multiforme et s’élabore de manière spécifique dans chacun des trois domaines de création que l’on trouve à PSL – pour le dire succinctement : les fonctions pour les sciences, les percepts pour les arts et les concepts pour la philosophie et les SHS -, mais elle s’épanouit aussi à l’interface des trois. Ce terrain commun permet par exemple aux chercheurs en SHS de prendre comme objet de leur recherche le travail d’un artiste ou d’un collectif, mais aussi d’y contribuer comme observateur participant. De la même manière, un physicien pourra tester un principe qu’il aura élaboré en le mettant à disposition d’un artiste pour voir comment « cela fonctionne » dans un contexte différent du laboratoire, et pourra aussi participer au projet comme co-acteur. La recherche est alors collective combinant des finalités différentes (la science n’est pas l’art) tout en créant une situation coopérative de création d’une forme.
Ce vaste champ implique bien sûr également des questions sociologiques : qu’est-ce qu’un artiste professionnel aujourd’hui ? Quels sont les artistes se réclamant « chercheurs » ou pouvant répondre à cette dénomination ? Quelles sont les nouvelles figures des « collectifs », qui semblent occuper une place de plus en plus considérable non seulement dans le domaine du spectacle vivant, mais aussi dans celui des arts plastiques et plus particulièrement dans les projets de recherche multidisciplinaires ? Il mobilise aussi des questions « citoyennes » qui tiennent à la globalisation et à ses effets, soit le métissage des cultures ou, inversement, l’uniformisation de la création : métissages géographiques, mais aussi chronologiques ; métissage entre cultures dites « hautes » ou « basses » (high and low) ; rencontre de territoires hétérogènes et emprunt aux altérités comme système de création. Il implique enfin des questions relatives aux dispositifs techniques (outils, instruments, médias) mobilisés et parfois inventés pour les besoins de la création.
Toutefois, examiner ce qu’est la production suppose aussi de ne pas oublier ce qui constitue le propre de l’activité de l’artiste : la mise en œuvre d’une pensée dans le concret, c’est-à-dire – presque toujours – dans ou avec des matériaux, ou un espace, par le biais d’une action du corps (danse, performance, arts dits numériques), de la voix ou/et du souffle (musique, théâtre), de la main (peinture, sculpture, etc.), et bien sûr de la vue, éventuellement médiatisée par l’objectif (photographie, cinéma, art vidéo, etc.).
Publicisation
Le deuxième axe entend explorer les modes de valorisation (à comprendre dans son acceptation la plus large) de ces productions, aussi diversifiés et à la mesure de la variété des publics qu’il convient de cibler : depuis les communautés de recherche expertes (les « pairs ») jusqu’aux publics larges. Il faut, pour cela, inventer des modes de diffusion nouveaux ou, en dressant l’inventaire et en favorisant le développement de canaux de diffusion d’existence récente et dont l’usage reste peu usité dans les laboratoires « traditionnels », réfléchir autrement au rôle ou aux rôles que les « publics », regardés en général comme passifs (simples récepteurs), peuvent jouer lors de la rencontre avec l’œuvre (des interacteurs), mais aussi pendant le processus de la recherche (par exemple testeurs et expérimentateurs de prototypes).
L’arrivée de nouveaux acteurs, autrefois illégitimes dans les systèmes de création et d’innovation, se produit de manière plus ou moins synchrone dans des domaines différents (arts, sciences, industries, politique) et ne peuvent plus être pensés séparément. Les artistes chercheurs ont donc un rôle central à jouer dans ces nouveaux écosystèmes dont ils sont eux aussi affectés. Cela concerne les processus de création (axe 1), mais aussi les différents rapports qu’ils entretiennent avec des « publics » non plus seulement a posteriori de la recherche, mais aussi pendant, après et à côté. Les modes de valorisations classiques (de l’atelier au musée, de l’écriture à la publication) sont toujours actuels, mais ils ne sont plus les seuls modèles.
En ce sens, la reconstruction d’une économie intellectuelle et pratique de ce que l’on continue, à tort, à nommer « diffusion » passera par l’expérimentation de concepts nouveaux et par celle, au sein de chaque programme du laboratoire (c’est-à-dire pour les actions proposées par les doctorants dans leur cursus, et pour les projets collectivement développés avec les chercheurs seniors dans cet axe et dans les deux autres), de méthodes empruntées conjointement aux sciences, aux techniques, aux industries et au champ politique (au sens étymologique) et artistique.
Transmission et mémoire
Le troisième axe du laboratoire SACRe s’intéresse aux phases ultimes de la création artistique, en examinant les questions de long terme que sont la transmission et la mémoire. Au sein des écoles d’art, la transmission de savoirs d’une génération à une autre relève d’une interrogation pédagogique. Celle-ci peut être réfléchie et mise en perspective dans le cadre de l’équipe d’accueil, dans la mesure où elle soulève des questions épistémologiques importantes sur les « savoirs » acquis et produits par des créateurs.
Cette interrogation comporte plusieurs volets : quelle est et doit être la place des « enseignements théoriques » dans les écoles ? La nécessité que les étudiants acquièrent une culture théorique au cours de leurs études dans l’institution n’est plus mise en cause. Cependant, continue à poser question la mise en place effective de tels enseignements au sein de cursus fondés essentiellement sur le principe que l’on « apprend en faisant », c’est-à-dire sur l’expérience, en contexte, des difficultés et questionnements de la création. Comment les formes d’apprentissage et de savoirs propres aux arts peuvent-ils participer à la recherche ? Qu’impliquent-ils comme méthodes ? Quel équilibre complexe mettre en place entre l’héritage patrimonial et l’exigence d’innovation ?
La tradition historique (parfois longue de plus de trois siècles) de ces écoles, ainsi que les dénominations de « conservatoires » ou de « beaux-arts » (terme aujourd’hui obsolète dans le champ de la création contemporaine) s’associent à l’ouverture des écoles aux technologies du présent, et à leur orientation naturelle vers l’invention et le renouvellement des formes.